ÉDUCATION - L’histoire de l’éducation

ÉDUCATION - L’histoire de l’éducation
ÉDUCATION - L’histoire de l’éducation

À partir de la fin du XVIIIe siècle, au sein des sociétés européennes en évolution, l’éducation allait se manifester à la fois comme un enjeu social, comme une composante de la croissance économique, comme une organisation nationale, comme une idée régulatrice et un projet de gouvernement. Il était dès lors prévisible que le propos sur l’éducation en vînt à s’inscrire dans une histoire.

L’ère de l’édification de l’école

Sans doute est-ce l’une des marques générales du XIXe siècle commençant que d’être le temps de la connaissance historique, le temps des «considérations». L’histoire-discours, avec Guizot, fait le pendant de la philosophie de l’histoire hégélienne. Et Michelet immortalisera la mission du «ressusciteur», où l’art et l’âme du narrateur débordent la technique de l’archiviste pour assurer l’histoire en sa fonction d’institutrice du peuple.

Or voilà bien quel est l’enjeu de l’éducation pour la modernité: l’institution du peuple. Le XIXe siècle verra se constituer progressivement en des corps professionnels laïques les agents de cette institution-là, ceux que, justement, depuis le «projet» de Condorcet (1792), on appelle les instituteurs . Et l’éducation, parce qu’elle est histoire en train de se faire, prend place au cœur du récit que l’époque moderne va confectionner sur elle-même et sur ses antécédents: prendre en considération l’éducation pour elle-même , ce serait, en quelque sorte, tenir l’un des «fins mots» de l’histoire.

Une certaine «histoire de l’éducation» est ainsi strictement contemporaine de l’édification de l’école républicaine, laïque, démocratique et libérale. Elle a partie liée avec le projet. Elle avalise la perception progressiste du déroulement de l’histoire humaine: les lumières et la Révolution de 1789 constituent bien le temps d’une nouvelle naissance de l’humanité sous le signe de l’éducateur. Certes, on souligne le rôle précurseur de la Renaissance et de la Réforme du XVIe siècle. Mais c’est le XIXe qui se voit crédité des critères réputés définitifs au regard desquels on va mesurer le sens de toute cette histoire: l’abaissement des absolutismes, ecclésiastiques ou césariens, la montée de la démocratie, l’avènement bienfaisant de la science et de l’industrie, la prise en compte d’une connaissance plus scientifique du phénomène humain et particulièrement de l’enfance, elle-même articulée comme naturellement avec une morale de l’autonomie individuelle.

Les menaces qui pèsent sur cette nouvelle «donne» ne peuvent entamer le bien-fondé de l’idée qui s’incarne là et dont l’histoire est appelée à rendre témoignage. C’est ainsi l’énormité même du présent, comme bouleversement à constater et à comprendre, mais aussi comme tâche à promouvoir, qui imposait qu’un nouveau type de passé se constituât. Ce passé de l’éducation serait l’objet indissocié de l’inventaire et du récit , c’est-à-dire de la science moderne et du mythe de la modernité. C’est dans l’entrelacs même du récit que s’effectuerait l’inventaire. La fonction de ce passé serait double. Il aurait d’abord à servir de caution pour la légitimité des choix contemporains: l’histoire de l’éducation serait alors quête et célébration des précurseurs. Mais ce passé aurait tout autant à constituer le «repoussoir» contre lequel la modernité s’identifierait dans sa différence et son progrès: l’histoire de l’éducation serait alors désignation et exécration des devanciers.

Le débat pédagogique, en définitive, impose à l’histoire ses urgences, et d’abord celle de convaincre. Certes, on trouvera, en cent cinquante ans de recherches sur l’éducation, de nombreux articles ou ouvrages proprement historiques. Mais ce ne sont pas ces travaux qui écriront l’histoire, celle où s’entretient le récit. Bien plus nombreux seront les ouvrages et articles dont l’inventaire historique n’est pas l’objet premier mais où la référence historique est appelée à jouer son rôle d’étayage . Le long et minutieux mémoire d’Octave Gréard sur L’Esprit de discipline dans l’éducation (1883), pour ne prendre qu’un seul exemple, illustre bien ce type de recours au passé. C’est un recours subalterne: historia, ancilla pædagogiæ . Le «doux Gerson», le «bon Rollin», Montaigne, Rabelais, Voltaire, Rousseau sont ainsi convoqués pour témoigner de la raisonnable libéralité des mœurs éducatives dans la France républicaine.

Rien d’étonnant à ce que l’histoire de l’éducation soit principalement écrite, dans la période d’édification de l’école, par ceux mêmes qui sont les organisateurs et les idéologues de l’instruction publique, conçue par eux comme une éducation nationale. On a cité Gréard. Ajoutons Gabriel Compayré (1881, 1889) pour la France, François Guex (1906) pour la Suisse romande. Ainsi se constitue au sein du milieu éducatif, intégré à son propos, une histoire de l’éducation, qui effectue un questionnement quasi autonome, qui dispose d’un corps de références pratiquement stabilisé et répercuté d’un manuel à un autre, non parfois sans stéréotypie. L’histoire de l’éducation encourt alors le risque de se rétrécir doublement: d’une part, en se bornant à décrire le développement des institutions proprement scolaires en rapport avec le progrès vers la démocratie, d’autre part, en «inventant» les grands pédagogues que l’on charge d’incarner la permanence de l’idée éducative et en établissant entre les uns et les autres une généalogie à l’abri de la contamination de la pratique.

L’histoire de l’éducation antique et médiévale

Il n’est pas question de diminuer le mérite de cette histoire «militante» et on ne lui fera même pas grief d’avoir été doctrinaire. Elle est riche de notations érudites et permet des rapprochements très éclairants pour les débats qui ont marqué de leurs enjeux les cent dernières années. Mais elle n’a pas peu contribué – en particulier sous la plume des grands propagandistes de l’éducation moderne – à fausser les perspectives, à retarder l’inventaire et à déjouer les questionnements novateurs. Deux exemples, évidents l’un et l’autre aujourd’hui, peuvent être retenus: l’évocation de l’éducation antique, celle de l’éducation médiévale.

Dans la première moitié du XXe siècle, le mouvement multiforme de l’«éducation nouvelle» trouve un dénominateur commun assez facile dans une aversion simple et déclarée pour une éducation que l’on dira traditionnelle et dont il n’est pas si commode de préciser les caractéristiques sinon en alléguant qu’elle est nocive pour les éducables. Le pédagogue genevois Adolphe Ferrière (1879-1960) s’est illustré dans la dénonciation de cette nocivité (par exemple, dans Transformons l’école , 1919). Parmi les tares de l’école «traditionnelle», figure son caractère «moyenâgeux». Ferrière entend par là l’obscurantisme, le verbalisme, l’autoritarisme. Cette image d’un Moyen Âge uniforme, figé, muet sous la férule des clercs, Ferrière la propage avec la meilleure foi du monde. Il voit dans la guerre de 1914-1918 l’aboutissement à la fois logique et absurde d’une éducation demeurée inchangée depuis la «scolastique». Or, déjà, quarante ans plus tôt, Jean Macé (1815-1894), animant les innombrables réunions de la Ligue de l’enseignement, où se consolide et se fortifie l’idée laïque, voue une identique exécration à un Moyen Âge qui ressemble singulièrement à celui de Ferrière, sauf qu’aux yeux de ce dernier l’école publique que célèbre Macé ne manque pas d’en faire partie. On pourrait multiplier les exemples de cette vision simplifiée du Moyen Âge. Nul doute qu’on ait les meilleures raisons de s’en prendre, concernant l’éducation, au verbalisme, à l’autoritarisme et au dogmatisme. Mais c’est précisément à cette triple défaillance que, une fois subordonnée à la promotion des idées (fût-ce des idées justes), cette histoire de l’éducation, devenue vulgate pédagogique, risque, à son tour, de succomber.

Le traitement réservé à l’Antiquité grecque et romaine par cette sollicitation du passé n’est pas moins instructif. Ce que l’on continue à requérir de l’Antiquité, c’est qu’elle fournisse cette réserve d’exempla propices à l’édification des éducables. Certes, la seconde moitié du XIXe siècle connaît bien des impatiences vis-à-vis de cette canonisation persistante des Grecs et des Romains. Il n’empêche. C’est à une Antiquité quasi intemporelle qu’on demande de confirmer, par l’exemplarité de ses propres vertus, les vertus que l’éducation républicaine s’efforce d’inculquer, sinon au peuple, du moins à l’élite. Une véritable hagiographie laïque, chez beaucoup d’auteurs, tient lieu de connaissance, au prix d’un refoulement de l’inavouable, au prix d’une lecture édulcorante des «autorités» pédagogiques de référence, à commencer par Platon lui-même.

Le renouveau des études historiques dans les années soixante en France ne pouvait manquer d’infléchir l’histoire de l’éducation vers plus d’ouverture (notamment avec les travaux de P. Ariès, P. Riché, D. Julia, M. Crubellier, F. Furet et J. Ozouf). La connaissance de l’Antiquité et celle du Moyen Âge, par exemple, devrait s’en trouver profondément modifiée, entraînant ainsi la chute de bien des préjugés. L’éducation antique, ce n’est plus le miracle d’une Grèce temple de l’équilibre et de la raison: J.-P. Vernant, P. Vidal-Naquet, M. Detienne ou le groupe Enfance et cultures ont montré combien cette Grèce, que nous avons appris à penser classique, était encore aux prises avec sa propre sauvagerie.

Quant au Moyen Âge, J. Le Goff, par exemple, le perçoit comme «la longue durée pertinente de notre histoire [...], le contraire du hiatus qu’ont vu les humanistes de la Renaissance et, sauf rares exceptions, les hommes des Lumières». Et cette longue durée s’étend quasiment jusqu’à nos jours. Pourtant, il ne s’agit plus de l’appréhender comme le prolongement menaçant de l’obscurantisme, mais comme une civilisation qui «a créé la ville, la nation, l’État, l’Université, le moulin et la machine, l’heure et la montre, le livre, la fourchette, le linge, la personne, la conscience et finalement la révolution».

Histoire scolaire et histoire générale

Cet inventaire apparemment hétéroclite est, d’ailleurs, parfaitement pertinent. Il illustre bien le changement de perspective qui a mis fin à l’isolement de l’histoire de l’éducation. Un ouvrage tel que l’Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France (1982), sous la direction de L. H. Parias, en assure la démonstration de manière magistrale: l’histoire de l’éducation scolaire y apparaît comme une composante de l’histoire générale des pratiques culturelles, de la quotidienneté, de l’influence mutuelle des marches et des contremarches d’une société qui éduque comme elle vit et comme elle meurt.

L’histoire de l’éducation est ainsi marquée par des événements qui, à première vue pourraient être considérés comme étrangers à son propre cours et qui sont indissociablement des faits économiques et des faits de mentalité, donc des faits de culture. Un exemple le montrera. Il est impossible de décrire l’apparition progressive de la figure de l’«humaniste» et des nouveaux critères qu’elle impose à l’éducation sans s’intéresser d’abord aux milieux d’affaires italiens de la fin du XIVe siècle. C’est là que s’effectue, en particulier, la mutation de l’organisation du temps. Car le XIVe siècle a été le siècle de l’horloge. Cette dernière, devenue instrument de la vie publique des villes puis des États, substitue au temps des monastères et des champs le temps des affaires et des villes, temps rationalisé par l’«emploi du temps». De la vie des affaires à la vie des écoles, s’annonce le temps nouveau de l’«agenda»: les programmes, les curriculums, la ratio studiorum , le «cours» lui-même, qui va être appelé à devenir une unité pédagogique comptable. L’officialisation de l’horloge et l’institution de son temps propre doivent faire date dans l’histoire de l’éducation, autant qu’à la même époque la publication par Gerson (1362-1428) du De parvulis ad Christum trahendis , où se trouve le célèbre plaidoyer du chancelier pour la douceur vis-à-vis des enfants. Mais cela ne veut pas dire que les réflexions de ce dernier sur l’art et la manière de catéchiser n’aient plus à être considérées comme un moment, voire comme un passage, dans l’évolution de ce qu’on appelle aujourd’hui la relation éducative.

En définitive, l’histoire de l’éducation comporte trois dimensions, le respect de chacune d’elles conditionnant le rapport de cette histoire avec son objet. Elle est d’abord investigation de l’institution des éducables , compte tenu du double versant de celle-ci, celui de l’organisation des instances éducatives, celui de l’intériorisation des manières de faire, de voir et de penser. Elle est ensuite répertoire des idées pédagogiques , ce qui l’oblige, dans une littérature hétérogène que la gravité des enjeux rend souvent polémique, à assumer l’inconfort d’un va-et-vient entre réflexion et prospective, entre constat et prescription, entre utopie et réalisme. Elle est, enfin, l’inventaire des pratiques éducatives au travers desquelles se mesure l’écart entre ce qui se dit et ce qui s’effectue, au travers desquelles on peut aussi tenter d’estimer le double jeu de l’institution des éducables: reproduire et innover, promouvoir et réprimer, affranchir et domestiquer.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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